Lorsqu’il est confronté à une réclamation de la part d’un assuré qui comporte un ou plusieurs motifs possibles de négation de couverture complexes ou difficiles à démontrer, un assureur peut être tenté de simplement accepter d’indemniser son assuré et de se tourner vers le recours subrogatoire qui découlera de son paiement indemnitaire dans la mesure où un tiers responsable est identifié. Or, l’assureur doit être bien conscient des conséquences qui découleront d’une telle décision, tel qu’en fait foi le jugement récent de l’honorable juge Lukasz Granosik de la Cour supérieure du Québec1 qui traite des conditions nécessaires afin que la subrogation en faveur de l’assureur ait bel et bien lieu.

Les faits

Les assurés dans cette affaire étaient propriétaires d’un triplex construit par un entrepreneur général. Ce dernier avait fait affaire avec un plombier pour l’installation des appareils sanitaires et les raccords de plomberie provenaient tous du même distributeur.

Après avoir acheté le triplex en 2007, les assurés ont choisi de louer les trois appartements. En 2011, ils ont décidé de transformer le triplex en copropriété divise et les derniers locataires ont quitté leur appartement le 1er août 2011. Entre le 1er août 2011 et le 1er août 2012, l’immeuble était inoccupé. Cependant, l’un des assurés visitait régulièrement le triplex et s’occupait notamment de l’entretien extérieur. Le 1er août 2012, les assurés ont subi un dégât d’eau dans le triplex. La cause soupçonnée du sinistre était un bris du raccord de toilette du logement au troisième étage. 

Les assurés ont fait une réclamation à leur assureur, mais ce dernier a refusé de les indemniser au motif que le triplex était vacant au moment du sinistre. En juin 2013, les assurés ont poursuivi l’assureur. Les parties ont cependant réussi à s’entendre : les assurés ont reçu une indemnisation de 140 000 $ de la part de l’assureur en contrepartie de la signature d’un reçu-quittance.

Par la suite, l’assureur, prétendant être subrogé dans les droits des assurés, a pris un recours en responsabilité civile contre l’entrepreneur général pour le montant de 140 000 $. Ce dernier a appelé en garantie le plombier et celui-ci a appelé en arrière-garantie le distributeur du produit en cause. Parmi leurs moyens de défense, les défenderesses plaidaient que l’assureur ne pouvait intenter le recours en l’espèce puisque la subrogation n’avait simplement jamais eu lieu.

La décision 

La subrogation légale

L’assureur plaidait qu’en ayant indemnisé ses assurés, il bénéficiait automatiquement d’une subrogation légale suivant l’article 2474 C.c.Q. L’assureur appuyait sa prétention sur l’arrêt Kingsway General Insurance Co.2 de la Cour d’appel du Québec, laquelle a introduit en droit civil québécois, selon lui, le concept de « subrogation en puissance » lui permettant d’intenter un recours subrogatoire malgré l’absence d’une obligation de payer. De son côté, les défenderesses arguaient que la subrogation légale ne pouvait avoir lieu en l’absence d’une obligation de l’assureur d’indemniser les assurés, laquelle n’existait pas en l’espèce puisque le bâtiment était vacant au moment du sinistre. 

Le juge n’a pas retenu la position de l’assureur, car selon lui, la décision de la Cour d’appel dans Kingsway portait davantage sur une question de procédure et ne se transposait pas en l’espèce. En outre, le juge a estimé qu’une telle interprétation aurait pour effet d’anéantir l’article 1657 C.c.Q. qui permet au débiteur d’invoquer le non-respect des conditions de validité de la subrogation. Le juge a donc conclu, en s’appuyant sur un passage de l’arrêt de la Cour suprême du Canada dans ABB Inc. c. Domtar Inc.3, que la subrogation légale suivant l’article 2474 ne peut survenir que si : « à la fois, l’assureur indemnise l’assuré […] et que l’obligation d’indemniser existe. Un paiement fait par l’assureur sans obligation de le faire ne peut déclencher ce mécanisme. »4

Le juge a donc été contraint de déterminer si l’assureur avait bel et bien une obligation d’indemniser les assurés. Pour ce faire, il devait déterminer si le triplex était bel et bien « vacant » au sens de la police d’assurance, car, le cas échéant, l’assureur ne disposait pas d’une obligation d’indemniser les assurés. En s’appuyant notamment sur une décision de la Cour supérieure5 qui avait associé le terme « vacant » à « l’idée d’abandon », le tribunal est arrivé à la conclusion inverse de celle proposée par l’assureur. 

Conséquemment, la Cour a conclu que l’exception de la police s’appliquait en raison du caractère « vacant » du triplex et a estimé que l’assureur n’était pas obligé d’indemniser les assurés. Dès lors, la subrogation légale en faveur de l’assureur ne pouvait avoir lieu. 

La subrogation conventionnelle

L’assureur prétendait également que le reçu-quittance signé par les assurés en contrepartie de l’indemnisation qu’il leur a versée lui permettait de se subroger conventionnellement dans leurs droits contre les défenderesses. Or, bien que le reçu-quittance ne prévoyait pas expressément une telle subrogation, l’assureur était d’avis qu’elle pouvait être déduite du contexte du document.  

Le juge n’a pas retenu cet argument, au motif que l’article 1653 C.c.Q. prévoit que la subrogation conventionnelle doit être non seulement écrite, mais expresse. En l’espèce, le tribunal a été incapable de discerner quelconque intention de subroger dans le reçu-quittance en question, lequel ne faisait qu’encadrer le versement de l’indemnité aux assurés. Le juge a donc conclu qu’il n’y a pas eu subrogation conventionnelle. 

Vu l’absence de subrogation (à la fois légale et conventionnelle), le juge a déterminé au final que le recours de l’assureur contre les défenderesses devait être rejeté, faute de droit d’action.

Quoi retenir

Cette décision illustre bien qu’un assureur qui décide de payer une réclamation alors qu’il existe des motifs crédibles de négation de couverture devra également considérer l’incidence qu’aura cette décision sur un éventuel recours subrogatoire. En effet, les parties potentiellement responsables du sinistre pourront soulever, dans le cadre d’un tel recours, les arguments dont aurait disposé l’assuré n’eût été le règlement de la réclamation. 

Une solution possible pour les assureurs placés dans une telle situation pourra également passer par la mise en place d’une subrogation conventionnelle ou d’une cession de droits avec l’assuré. Cependant, la rédaction de ces conventions devra répondre à des conditions précises. 

L’auteur désire remercier Mathieu Canuel, étudiant en droit, pour son aide dans la préparation de cette actualité juridique.


Notes

1   Sécurité Nationale compagnie d’assurance c. Bel Bro inc., 2022 QCCS 723.

2  

Kingsway General Insurance Co. c. Duvernay Plomberie et chauffage inc., 2009 QCCA 926 (Kingsway).

3  

ABB Inc. c. Domtar Inc., 2007 CSC 50, para 113.

4   Sécurité Nationale, supra note 1, para 16.

5   Harvey c. Compagnie d'assurances ING du Canada, 2009 QCCS 2871.

6   Harvey v. Compagnie d'assurances ING du Canada, 2009 QCCS 2871.



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